Cette adaptation de Catherine Vigneau d’après la pièce « Une journée particulière » de Gigliola Fantoni et Ruggero Maccari et du scénario d’Ettore Scola, sera à découvrir dans la prochaine saison culturelle. En attendant de les voir sur scène, découvrez Catherine Vigneau, comédienne-autrice et cofondatrice de la compagnie, dans un entretien réalisé sur ce temps de recherche artistique.
Synopsis
Un réalisateur indépendant et son équipe vous accueillent pour assister en direct au tournage de son prochain film : Journées Particulières. La fiction cinématographique et la réalité du plateau s’entremêlent. Le voyage dans la Rome fasciste de 1938 et le questionnement de la liberté d’expression dans notre société actuelle, s’entrechoquent avec passion.
Ces Journées Particulières mêlent l’intime et la grande Histoire, chaque personne en ressortira transformée. Nous sommes le 7 mai 1938, le jour ou Hitler vient à Rome rencontrer Mussolini, dit le Duce. Tous les habitants de la ville sont partis assister à la réception somptueuse organisée par l’Italie fasciste. Dans un immeuble déserté, au cœur de Rome, il reste cependant trois personnes que tout sépare et qui pourtant vont être amenées à se rencontrer : Antonietta une mère de famille, Gabriele un journaliste licencié, et Livia la concierge. À l’extérieur de l’immeuble parmi la foule, Luigi, journaliste radiophonique clame en direct le triomphe de la dictature.
Comment êtes-vous entrée en contact avec la « Journée Particulière » d'Ettore Scola? Pourquoi avoir voulu adapter cette oeuvre aujourd’hui?
C.V. Depuis trois ou quatre ans, nous tournons avec le spectacle Notre Candide, une adaptation théâtrale contemporaine du conte philosophique Candide de Voltaire. Il vient toujours le moment de se dire : “Qu’est ce qu’on fait ensuite ?”. C’est Isabelle Bouvrain, notre metteure en scène qui nous a parlé du film d’Ettore Scola, Une Journée Particulière. Piqué·e·s de curiosité, on s’est mis à fureter de ce côté-là : on découvre alors une importante résonance avec l’actualité, avec ce qu’il se passe. Alors qu’on avance dans le travail, la situation sanitaire s’impose à nous et fait ressortir plus encore l’empêchement, le dogme, le questionnement sur qu’on a le droit de faire ou de ne pas faire. Tous ces constats mis bout à bout, une évidence s’impose.
Ayant déjà travaillé sur l’adaptation de Candide, je me suis portée volontaire pour travailler sur l’écriture du nouveau spectacle. Le film en lui-même a déjà été adapté au théâtre, dans les années 80. J’avais envie d’y injecter quelque chose d’un peu plus concret, d’un peu plus contemporain aussi. D’où l’idée de monter l’histoire d’un réalisateur qui souhaite se frotter à nouveau à cette œuvre et de montrer la perception qu’il en a aujourd’hui.
Parce que finalement, cette histoire peut se résumer comme la rencontre de deux âmes complètement perdues, complètement écrasées par la société. Bien que décrit comme subversif, Gabriele, le journaliste, est simplement hors du système. Quant à Antonietta, elle est complètement avalée par celui-ci. Son absence de rêves, de désirs, elle n’en a pas conscience.Toute la société l'empêche d’avoir une opinion par exemple. C’est quelque chose qu’elle ne s’autorise pas. Ce sont toutes ces choses que j’avais envie de développer au-delà de l’histoire qui existe en elle-même dans le film ou dans l’adaptation théâtrale précédemment réalisée.
Quels sont les principaux défis à relever dans le fait de traduire et d’adapter une œuvre cinématographique? Cela demande-t-il de se concentrer sur l’essentiel? Comment faire vôtres les mots du réalisateur italien?
C.V. J’ai pris le parti de prendre l’intégralité du texte d’origine. De ne pas modifier les situations qui existent dans le film et de les intégrer à travers un tournage. Les spectateurs arrivent comme des figurants. On dit au public : “Vous, vous êtes la foule. Vous êtes le peuple de Rome. Vous êtes ceux qui acclament le Duce”. Tous ces inserts de la vraie vie, des vrais temps de tournage, de faire l’installation à vue... j’ai ajouté des choses à ce qu’il se passe.
L’écueil dans lequel il ne faut pas tomber c’est d’être dans la pure copie de ce qui a été fait. C’est très assumé sur les scènes qui appartiennent au film, mais pour tout ce qui est ajouté, pour tout ce qui appartient au réalisateur et aux troubles des comédien·nne·s aussi, qui passent sans arrêt de “J'interprète le rôle qui m’est alloué·e et en même temps je suis un·e comédien·ne qui est au service de, et j’ai mes doutes.”, j’y ai trouvé mon espace d’expression. Pour faire ressortir ce qui existe, Ettore Scola travaillait sur des images dans un sépia un peu fade. Il instille énormément de choses dans son style, dans sa façon de filmer, que nous ne pouvons pas reproduire parce que nous ne sommes pas lui. Dans notre adaptation, cela se joue sur les inserts que nous faisons et sur les plans que nous filmons en direct également.
Comment travaillez-vous avec la vidéo? Est-ce un élément avec lequel vous avez l’habitude de travailler? Comment s’inscrit-elle, visuellement, dans votre approche du plateau et des dynamiques dramatiques?
C. V. C'est la première fois que nous intégrons vraiment la vidéo dans le propos du spectacle. C’est quelque chose qui me tenait à cœur depuis très longtemps. Ce travail autour de la caméra, c’est justement pour retransmettre le point de vue du personnage du réalisateur sur cette histoire.
En théâtre, il y a le plateau et la plupart du temps, le public est en frontal. Ce qui ne sera pas le cas ici comme pour nos précédentes créations. Il sera en ogive autour de nous. Trois pans du plateau seront visibles, chaque spectateur n’aura donc pas le même point de vue. Ce qui nous importe est lié au nom de la compagnie : le 3ème acte, c’est avec quoi le spectateur repart.
Chacun apporte son empreinte, sa résonance, ce qui multiplie les points de vue. Avoir l’opportunité de voir ce qui se passe au plateau ainsi que la réaction des spectateurs, cela permet aussi d’être ensemble. La notion du partage nous importe beaucoup. La caméra est une façon d’impliquer encore plus le réalisateur : en ramenant des détails, un gros plan sur un visage, une main... il amène un nouveau point de vue. On ne s’attend pas à voir au théâtre le détail d’une main sur une table. Ça joue une main en fait. Ainsi, on peut, et faire naître cette image qui va montrer un moment de tension ou au contraire un moment de faiblesse et en même temps voir le comédien dans son entier, et au même moment découvrir le point de vue d’un autre comédien qui est en off. On est là sur une forme d’accumulation d'informations. Un chahut de points de vue globaux.
Des archives sont également projetées.
C. V. Oui, on alterne avec des images d’archives. C’est là qu’on se rend compte en fouillant dans les images d’archives de la folie de ce type, de la folie dictatoriale. On est dans le culte de la personnalité. On se rend compte à quel point il faut être dément pour s’imaginer maîtriser un peuple dans son entier. On voit le feu dans son regard, la violence dans sa mâchoire.
Est-ce une façon pour vous de réancrer la petite histoire avec la grande?
C. V. Oui et de faire des ponts avec ce qu’on vit aujourd’hui. Quand on regarde les images d’archives de Mussolini, Vladimir Poutine n'est pas loin derrière en fait avec ses images sur son cheval, très puissant. On est dans la même iconographie de ces personnalités qui ont des désirs “un peu à la César” : “Je suis moi, je dirige mon peuple, j’écrase et je tue s’il le faut”. Et bien justement, cette image de Mussolini, complètement écrasante, qui s’impose sur une scène qui se joue de façon très intime au plateau prend tout son sens.
Votre projet de création intervient pendant la pandémie de Covid-19. Comment cela a-t-il affecté votre travail?
C. V. Il y a eu des heurts. Déjà, simplement, sur la réécriture, sur le travail d’adaptation. Je devais commencer à écrire au mois de mars 2020, à une période où le reste de la compagnie était censée être en ébullition sur de nombreux projets : du théâtre forum, des médiations (...). Cela me permettait d’être en retrait afin de me plonger pleinement dans l’histoire et dans le travail d’écriture. Et puis on s’est tous pris un grand mur. D’un seul coup, tout le monde est bloqué chez soi. Plus d’espaces pour avoir des moments d’échanges. Sur le travail d’adaptation, j’avance habituellement de mon côté, puis on se retrouve, on échange, on lit… ces temps sont ancrés dans notre mode de fonctionnement. Et il n’y a pas eu cette phase.
Et puis des choses toutes simples : par exemple, j’avais imaginé que le speaker, la voix de la radio qui est omniprésente dans le film, soit un personnage très grandiloquent, qui aurait évolué au milieu du public en haranguant la foule. Quelqu’un à la fois de très oppressant et de très charmeur. Dans la réalité, en 1938, cette voix de radio était celle d’un comédien qui interprétait les mots écrits par le gouvernement. Il avait donc une place de séducteur dans le processus de propagande.
Mais, imaginer un personnage qui évolue en permanence au milieu des spectateurs dans un contexte où la pandémie risque de s’inscrire dans le temps, ça n’est pas possible. C’était le premier impact. Le deuxième effet a été de ne jamais réussir à réunir l’équipe au complet lors des précédentes résidences en raison de personnes malades ou encore des tests liés au Covid-19. Nous devions commencer en plateau au mois de septembre, mais tout a été tronqué. Et le temps de rêverie à l’issue de chacune des résidences, où l'on repense à ce qui vient de se produire et qui nous permet de revenir plus fort, s’est retrouvé très condensé. On est vraiment dans cette sensation de course après le temps.
Pouvez-vous nous parler de votre résidence à l’Université Rennes 2?
C. V. Dans la pièce, il y a trois actes. Sur les précédentes résidences, on a vraiment travaillé les deux premiers actes. Nous sommes en dépliage pour l’instant, c'est-à-dire qu’on taquine le texte au plus proche, pour être au plus juste, pour affiner le propos. Nous rentrons dans l’intimité des deux personnages qui se rencontrent : comment se sauvent-ils l’un l’autre ? Antonietta découvre qu'elle n’est pas heureuse bien qu’une partie d’elle le savait déjà. Parfois, nous avons des œillères, et si personne ne nous les enlève, on ne les voit pas. Nous travaillons à quels endroits cet effeuillage, cette part d'intimité, se joue au plateau. Nous sommes sur la partie émotionnelle avant de rentrer dans l’incarnation pure.
Propos recueillis par Clara Guichard